« En suivant le chemin qui s’appelle plus tard, nous tombons
sur la place qui s’appelle jamais. » – Sénèque
Dans cet article :
- L’importance de la mort pour l’amour
- L’effet Zeigarnik
- Comment vivre et séduire avec la notion d’achèvement
Extrait du film Troyes de Wolfgang Petersen (2004),
avec Brad Pitt dans le rôle d’Achilles :
I- JE RÊVE DE LA MORT
A- Ce que je sais de la mort
Que croyez-vous qu’il y ait après la vie ? Souvent, comme la nuit passée, je rêve de ceux que j’ai perdus. À propos de la mort, je n’ai que des doutes. Un peu comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. L’inertie des corps plongés dans le mutisme. Un refus de converser qu’ils ne s’ennuient même plus à justifier.
Et chez nous autres les vivants ? Ce nœud serré qui prend à la gorge. Ces yeux gorgés de larmes, et les sanglots sans fin. Cette vive douleur, une souffrance du manque. La disparition inconsolable d’un être aimé, la perte d’une compagnie qui nous faisait vibrer. Voilà sur la mort à peu près tout ce que je sais.
B- Des morts VIP ?
Quoiqu’il en soit, lorsque j’en rêve, je rêve de personnes en particulier. Je ne retrouve pas à la même fréquence tous celles et ceux que j’ai aimés de leur vivant. Mon esprit semble avoir ses priorités.
Inconsciemment, je m’évade auprès des êtres qui sont partis le plus tôt ! Je rêve de celles et ceux avec qui j’ai une oeuvre inachevée. C’est à une jeune psychologue russe que je dois de comprendre pourquoi.
II- L’EFFET ZEIGARNIK
A- Ces enfants frustrés…
En 1927, alors qu’elle achève ses études à l’Université Humboldt de Berlin, la psychologue russe Bljuma Zeigarnik fait une découverte scientifique fascinante !
Dans le cadre de travaux expérimentaux, la chercheuse invite un groupe d’enfants à réaliser une série de petites tâches, dans un temps très limité. Le délai étant trop court, les enfants ne pouvaient accomplir toutes les tâches qui leur avaient été assignées.
Un peu plus tard, la scientifique revenait vers eux et leur demandait d’énumérer une à une toutes ces tâches. Curieusement, les enfants se souvenaient mieux des tâches qu’ils n’avaient pas pu achever : les résultats indiquaient même un taux de mémorisation 1,9 fois supérieur pour les tâches inachevées !
B- …par une oeuvre inachevée
L’explication la plus probable appartient au champ de la motivation humaine. L’engagement dans une activité créé une tension émotionnelle de l’organisme qui se mobilise et exploite les ressources nécessaires d’énergie et d’attention pour visualiser l’aboutissement du travail et résoudre le problème. Mais lorsque l’activité est interrompue, l’organisme reste frustré et n’atteint pas cet effet de détente lié à l’accomplissement. La persistance active de cette tension émotionnelle maintient ainsi la tâche en mémoire.
Quand la chercheuse permettait aux enfants de finalement accomplir les tâches inachevées et d’obtenir cette légère détente, alors les scores de mémorisation redevenaient égaux pour toutes les tâches.
III- LA PENSÉE CARTÉSIENNE
A- Descartes, Dieu et la mort
Si ma génération connait mal ses travaux, René Descartes reste célèbre en France pour représenter la pensée logique et le rationalisme. Si bien que maladroitement, on se dit parfois « cartésien » pour fonder la négation de Dieu. Mais René était croyant.
Dans une lettre au poète Constantyn Huygens, le 10 octobre 1642, il lui recommande une pensée puissante pour supporter la mort de ceux qu’on aime :
« Je ne puis concevoir autre chose de ceux qui meurent, sinon qu’ils passent à une vie plus douce et plus tranquille que la nôtre, et que nous les irons trouver quelque jour, même avec souvenance du passé ; car je reconnais en nous une mémoire intellectuelle, qui est assurément indépendante du corps.»
B- Mes rêves paradisiaques
Bien qu’agnostique, je ne peux m’empêcher de penser à Descartes lorsque je me réveille d’une nuit qui m’a fait retrouvé des personnes chères et disparues.
Bien souvent, ce sont des personnes qui m’ont connu trop jeune et sont parties mourir ou voyager, avant que je ne puisse grandir, mûrir, développer les valeurs et l’affection qui m’habitent aujourd’hui. Avant que je ne puisse révéler qui je suis et échanger avec elles mes pensées actuelles. Avant que je ne puisse savoir si elles m’auraient aimé et si j’aurais continuer de les aimer. Avant que je ne puisse les questionner sur tel ou tel problème de la vie, et profiter de leur sagesse que je tiens en bonne estime. Avant que je ne puisse leur demander un conseil, avant qu’on ne me puisse s’encourager mutuellement dans nos projets.
En rêve je les revois, « avec souvenance du passé », et je me hâte de leur poser toutes mes questions. Je profite de leur regard amusé, avant que le soleil ne me réveille et ne me les enlève une fois de plus. Mais la sagesse dont j’ai cru profiter un instant, n’aura été qu’une projection.
IV- CONJUGUER L’AMOUR AU PRÉSENT
A- Festina lente, Tempus fugit
« Hâte-toi lentement », car « Le temps file ». Lorsque nous sommes en relation avec quelqu’un, apprenons à l’aimer.
Et je dis cette banalité dans le sens le plus profond et le plus pragmatique qui soit. Apprenons à l’aimer, en sachant l’estimer. Sachons l’estimer, en l’évaluant justement. Évaluons-la en nous montrant sensible à toutes ces qualités physiques, intellectuelles, artistiques et morales dont elle dispose en fait ou en potentiel.
Cette aptitude au respect n’est pas innée. On la cultive grâce à notre curiosité quotidienne, à travers l’observation attentive des gestes, et l’écoute active des paroles, dans un allocentrisme qui nous permet d’être authentiquement tourné vers l’autre.
C- Memento mori, Carpe diem

Il arrive bien souvent que l’on pèche par orgueil et que l’ego nous interdise de poser les bonnes questions à celles de nos proches qui pourraient nous instruire. C’est une sottise car plus une personne nous apprend, plus elle nous construit. Et plus elle nous construit, plus elle fait partie de nous. Or plus elle fait partie de nous, et plus nous l’aimons.
On raconte que dans la Rome antique, lorsque les généraux romains revenaient triomphants de campagnes militaires et défilaient dans les rues de la Cité, un esclave se tenant debout derrière eux devait se pencher à leur oreille et leur chuchoter « Memento mori » (autrement dit « Demain est un autre jour, souviens-toi que tu es mortel »). Cette incitation à l’humilité donna lieu à la naissance d’un mouvement artistique (cf.peinture). Elle nous concerne également, et peu de nos prouesses passées méritent que l’on taise nos questions présentes au risque de perdre une précieuse leçon de vie de la part de nos proches et la connexion privilégiée qu’elle entraîne.
L’idée générale, bien sûr, que l’hédoniste que je suis ne se lassera jamais de répéter malgré son évidence, est de profiter de chaque instant passé avec les personnes que nous aimons. De sorte que si une séparation symbolique ou mortelle nous les enlevait, on puisse connaitre les chagrins, mais jamais les regrets.
D- L’effet Zeigarnik au cinéma
La comédie « Le Zèbre » de Jean Poiret (1997), met en scène Thierry Lhermitte dans le rôle d’Hippolyte, époux fougueux portant l’alliance depuis 15 ans et prêt à tout pour éviter à son mariage le naufrage de la monotonie.
Il trouve l’ultime astuce de séduction. Pour demeurer le seul vrai amour de sa femme, et distancer tous ses concurrents, il opte pour le suicide ! Hippolyte se donne volontairement la mort et place sa femme dans une relation inachevée (effet Zeigarnik), colonisant ainsi sa mémoire, et occupant ses pensées pour toujours. Le petit plus : le réalisateur Jean Poiret, pour sa part, décédera trois mois avant la sortie du film…
J’espère que désormais vous maîtriserez vos gestes, saurez précipiter ou faire traîner les choses, mais toujours en sachant quel effet vous créez, pour ne jamais être pris par le temps…
Avec amour,
Louny Bostok
Sources :
- Zeigarnik, B. (1927). La rétention des actions achevées et inachevées. Psychologische Forschung, 9, 1-85
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Article intéressant, merci pour tous ces infos intéressant, j’espère que vous traité encore le sujet de manière plus développé.