Narcisse et son reflet

I- LA SÉDUCTION PAR ACCIDENT

A- Sur un malentendu, ça peut marcher !

Une lumière tamisée, un peu d’alcool, quelques bons mots qui exagèrent tes qualités émoussées, et abracadabra ! Une femme alentour, disponible et réceptive sur rue sur toi ! Alors qu’elle t’observait depuis une minute – ses copines étant sorties fumer devant le bar – elle focalise soudainement son attention sur l’accord hasardeux de ton écharpe et tes chaussures, ne tarit pas d’éloge à leur sujet.

« Tu as du swagg ». Elle, n’a aucune exigence. C’est le coup de foudre, c’est l’amour fou !

B- Retour à la case départ

Super ! Félicitations ! Tu as conclu sans effort. Ton charme a opéré, tu peux être fier de toi. Encore que comme on le dit, la beauté est dans les yeux de celui/celle qui regarde !

Après deux rendez-vous, tu réalises que la jeune femme en question a quelques qualités sportives, mais aucune consistance intellectuelle. L’ennui mortel. Vous parlez vernis à ongle et sacs à main Dolce and Gabana toute la journée. La fille ultra-superficielle. Tu rougis à l’idée de l’inviter au restaurant de peur que tes amis ne déplorent son manque de conversation. Ce n’était pas la bonne. Fin de l’histoire, chacun rentre chez soi. Retour à la case départ.

C- La loterie, un jeu de perdants

S’il fallait s’en remettre au hasard pour satisfaire ses envies, le monde tournerait bien lentement.

On rencontre deux courants de pensée en matière de séduction. Il y a d’une part, les hommes qui séduisent par nécessité physique ou sociale (l’injonction au mariage, les « vieux » qui veulent des petits-enfants, la peur de rester seul…). Sans prendre de grands risque, il s’en remettent à la chance, croisent les doigts, prient, attendent que les choses se fassent. Parfois même ils concluent sans avoir charmé, et se casent sans être séduits, moins par passion que par accommodement, avec des femmes de la même passivité qu’eux.

On les reconnait facilement. Ils ont à la bouche quantité d’expression toutes faites pour rabaisser les séducteurs, justifier leur propre passivité et expliquer leur absence de résultats choisis : 

  • « Les femmes, ça ne m’intéresse pas. »
  • « Il faut « rester soi-même. »
  • « Draguer, c’est tromper. »
  • « Je m’en remets au destin. »

En général, ils s’en remettent d’abord à l’industrie pornographique. Viennent ensuite l’acharnement professionnel et la douce aigreur que confèrent une solitude prolongée et la diminution de l’estime personnelle qu’elle entraîne. Ce sont ces fameux néo-machistes fustigeant les femmes libérées, tout emplis de jalousie.

Ces petits joueurs, lorsque le tombe le gros lot, ou le lot de consolation, ne s’indignent jamais d’un désintérêt réciproque au sein de leur relation. Ils ne s’offusquent pas d’une dangereuse platitude émotionnelle. Ils s’accrochent à la condamnation qu’ils ont prise pour un cadeau de l’univers. Leur vie n’est pas un long fleuve tranquille. C’est un lac, une mare, de la vase, une petite substance grisâtre qui stagne et croupit jusqu’au réveil brutal, quinze ans plus tard…

II- LA SÉDUCTION COMME MODE DE VIE

A- Une approche transcendentale

Certains hommes, moins nombreux, pensent et vivent différemment.

Même en couple, un séducteur continuera de se sentir le devoir de plaire. Plutôt que de considérer sa compagne comme acquise, il restera à son écoute, interrogera ses besoins et ses envies régulièrement, s’efforcera de la surprendre, de lui faire plaisir, de la faire rêver !

Le plaisir de la séduction ne sied pas qu’aux célibataires. Il transcende les styles de relations et les paradigmes. Qu’importe que tu sois monogame, polyamoureux, ou libertin frivole.

B- « Tu me plais. Le plaisir est pour moi ! »

Cette deuxième catégorie d’hommes puise dans les exigences de la séduction une incitation à l’hygiène de vie. Être bien dans sa tête, bien dans son corps. Être bien avec soi bien avec les autres. Aimer et être aimé. Accorder son attention aux autres. Mériter la leur en retour.

Comment ? En se montrant remarquable à divers égards : devenir agréable à vivre, beau à voir, doux à écouter et à toucher. Devenir bon dans quelque chose, admirable par quelque vertu… Bref, s’améliorer de jour en jour !

Un tel travail exige de l’énergie, de la patience, une observation de soi, une critique constructive. D’où tirer la force d’efforts si persistants ? Du plaisir de plaire.

III- LES PETITS PLAISIRS DE SOI

A- J’suis pas venu ici pour souffrir, okey ?

Le narcissisme dans la séduction est-il un sujet tabou ? À n’en pas douter. On confond amour-propre et orgueil. Si bien que même les hommes orgueilleux recourent à des voies détournées pour se mettre en avant (au demeurant voyantes, sinon vulgaires) .

Mais pour aimer, il faut s’aimer. La première personne à séduire, c’est d’abord soi-même. L’aisance sociale nécessite d’avoir foi en son avenir, d’avoir confiance en ses actes, de se savoir un potentiel. Or comment le savoir sans se reconnaître quelques qualités ?

Tu es drôle, beau, fort, intelligent, sociable, professionnellement accompli, socialement utile, visionnaire ou capable de leadership ? Tant mieux. Ose t’en satisfaire. Qui t’en tiendrait rigueur tant que tu es courtois ?

2) Satisfaction, pas suffisance

Sache apprécier l’effet de ta voix sur celles qui t’écoutent, de tes caresses sur celles que tu touches, de ta gentillesse sur celles que tu aides et de tes astuces sur celles que tu amuses. Aime ce petit pouvoir de plaire, joue et gagne ! Le plaisir intrinsèque est tellement plus noble, tellement plus sein que les gestes suivant un dessein.

Mais la clé ne consiste à pas à se reposer sur ses lauriers. Cultive tes atouts pour mieux t’épanouir, les femmes le sentent aussitôt. Cela suppose un investissement sur soi-même. Ce qui implique de s’accorder de l’importance, de s’estimer digne d’intérêt. 

Laisse-toi aller à la complaisance, à la suffisance, à l’arrogance, et c’en est fini de toi. C’est la médiocrité qui frappe à la porte. C’est la chute libre qui t’attend. C’est la mort de Narcisse pleuré par les naïades.

Séduction et amour-propre

Narcisse, par Le Caravage (1595)

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« La séduction représente la maîtrise de l’univers symbolique. »

— Jean Baudrillard
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